Ce n’est pas celle de Mozart. C’est celle de mon quatre heure, de mon goûter d’enfance, celle dont je n’ai jamais oublié ni le goût ni l’odeur. Odeur du beurre, goût du pain un peu rassis par des heures d’immobilité roulé dans son papier d’aluminium et suprême délicatesse, saveur de la poudre chocolatée parsemée, collée, amalgamée et … délicieuse. Petit sandwich glissé chaque jour avec attention et tendresse dans mon cartable d’écolière.
Je restais à l’étude du soir après 16h30. J’allais m’asseoir sur une marche et dépliais sur mes genoux le contenu du sac en tissu confectionné à cet effet et dans lequel étaient glissés le papier d’argent protecteur et sa tartine. Je déchirais en écoutant le bruit métallique mais pas jusqu’en bas pour ne pas me salir les mains, juste au-dessus de la bouchée à venir. Et petit à petit je glissais le papier jusqu’à plus rien. Et je le roulais en boule en mâchant la dernière bouchée. C’était bon ! J’avais oublié comme c’était bon. J’avais oublié comme on oublie les choses simples qui rythment l’enfance. Ces petits riens qui font des gros « tout ». Comme le fait de ramasser les feuilles mortes sur le chemin de l’école et de les éplucher jusqu’à ce qu’il ne reste que les nervures. Ou de marcher à cloche-pied sur le bord du trottoir en comptant 1, 2, 3 et plus encore. Ou de jouer à la marelle, de sauter à la corde, de choisir qui sera le chat plouf plouf, une poule en or, c’est toi qui sors au bout de trois, un deux trois… J’entends encore la mélodie, les rythmes accélérés de la corde qui tourne, tourne, tourne…et les rires, les chansons, les mains qui se tapent en scandant des chansonnettes chapeau de paille, paillasson, somnambule…
J’avais oublié ma tartine de beurre.
L’autre jour, l’institutrice de ma fille aînée m’a proposé d’accompagner une sortie. La première sortie de l’année, l’après-midi. Une classe de cours préparatoire, en apprentissage de lecture qui allait à la médiathèque écouter « l’heure du conte ». Sur le chemin du retour, en passant par le parc, nous avons goûté ensemble. Chacun à sorti de son petit sac, un quatre heure préparé avec plus ou moins de hâte par la tendresse d’une mère. Chocolatines, sablés, madeleines, gaufres ou barres de céréales … tout fait, tout prêt, un peu écrasé, un peu ramolli, encore emballé avec un nom de marque… J’avais fait pareil que les autres mamans, « le tout prêt, vite-fait » qui pare à toutes les urgences et que les enfants adorent. A côté de moi, une petite fille a sorti précautionneusement de son sac une tartine de beurre. Le beurre sentait bon, avait un peu fondu et la poudre de chocolat avait collé dessus… J’ai eu très envie de croquer dans cette tartine-là, à ce moment-là. Très envie de redevenir cette petite fille cachée au fond de moi et que j’avais un peu oubliée. Tout remonte à la mémoire quand celle-ci est enclenchée, jusqu’aux petits détails. La tartine devient le tablier à carreaux roses et blancs, l’institutrice, les aventures de Babar avec lesquelles j’ai appris à lire, l’école, la cour, ma ville … tout cela toujours empreint de nostalgie.
Pourquoi la nostalgie colle t-elle à ma tartine de beurre ?