Le petit poste Radio en Bakélite couleur Bordeaux qui trônait sur l'étagère bibliothèque de la chambre de bonne où nous vivions Maman et moi. Pour nous c'était plus qu'une radio ! C'était la porte grande ouverte sur le monde ! Les pièces de théâtre retransmises en direct de la Comédie Française les dimanches après-midi, j'entends encore le timbre un peu métallique de la voix de Louis Jouvet, le ton charmeur de Gérard Philippe... mais aussi le « Jeu des Mille Francs » animé par le chaleureux Lucien Jeunesse ; « Les Maîtres du Mystère » quand le mardi soir, Henri Virlojeux nous faisait délicieusement frissonner de peur ! Que de bons moments vécus grâce à ce petit poste ! Je me souviens aussi d'un matin : je rentrais de New York, fatiguée par une longue nuit de vol et je racontais à Maman que la veille, il y avait une curieuse atmosphère dans cette énorme ville, une sorte de silence étrange… Nous avons alors entendu aux informations l'annonce de l'assassinat de Kennedy à Dallas. Comme un cataclysme !!! L'Histoire avait fait irruption dans notre paisible pigeonnier.
Helena
Chaque matin, maman préparait mon frère, six ans, pour aller à l'école. Le petit, les yeux ensommeillés, se laissait tripoter, bousculer, laver, coiffer. Après avoir vérifié que tout était en ordre, elle me recommandait : « fais bien attention ne le lâche pas d'une semelle. » Et nous voilà partis, moi un peu agacée d'avoir toujours la responsabilité de traîner ce petit morveux incapable de s'occuper de lui-même, de subir ses caprices, de ne pas s'écarter du chemin rituel. Mais dès que nous arrivions au pont, je ne pensais plus qu'à jeter des pierres dans la rivière et à me réjouir des "ploc" qui faisaient des ronds dans l’eau. Admirer le vol gracieux des libellules. Les jours de grande chance, voir s'enfuir des poules d'eau en robe de deuil. Le temps passait ; dès que je voyais au loin la charrette du laitier, je savais qu'il était grand temps de déguerpir. En courant presque je tirais mon frère par la main, lui pleurant et moi essoufflée, nous arrivions au son de la cloche de l'école. Ouf ! Pas en retard cette fois encore.
Luce
La fin des grandes vacances ! Ces derniers jours de Septembre, durant notre petite enfance, mon frère et moi les attendions avec impatience. Nous séjournions alors chez notre grand-mère et y retrouvions notre arrière-grand-mère. Plusieurs fois, durant notre séjour, nous accompagnions cette dernière appelée affectueusement « mémère » jusqu'au bois de sapin. L'objectif ? Récolter des pommes de pin pour alimenter le feu de la cuisinière. Avec le recul, j'ai réalisé que notre grand-mère, couturière, pouvait ainsi avancer tranquillement son travail. Un petit sac « fait maison » à la main, nous parcourions environ un kilomètre sur une route bordée seulement de deux ou trois maisons. Ce trajet nous réservait quelques rencontres. Celle de notre voisine « la dame à la tabatière » était notre préférée. Elle nous offrait toujours une prise. L'âcreté du tabac dans nos narines nous faisait suffoquer, mais nous étions très fiers de notre statut de grands. C'était l'occasion pour cette femme vêtue de noir et portant la coiffe du pays de nous raconter l'émission radiophonique de la veille. Elle seule, dans ce quartier modeste, possédait un poste de T.S.F. L'accès au bois se faisait directement à partir de la route. Nous avancions sur un tapis d'aiguilles parsemé de pommes de pin. Une odeur de sève nous accueillait mais, petit à petit, au cours de notre progression, cette odeur était dominée par celle forte et désagréable de la tannerie voisine. Cependant, rien ne gâchait notre plaisir. Une compétition permanente frère-sœur nous amenait à comparer régulièrement nos récoltes, mais nous arrivions toujours à remplir notre sac. Sur le chemin du retour, la cueillette de quelques fleurs nous permettait de constituer un petit bouquet, qui, plongé dans l'eau d'un verre à moutarde égaierait la table du goûter qui nous attendait. Notre grand-mère savait non seulement coudre, mais aussi préparer de savoureuses tartines beurrées, parsemées de chocolat râpé.
Annette
Samedi, huit heures du matin. Besoin d'un complément pour le dîner entre amis de ce soir? C'est l'occasion de m'offrir le bonheur d'un petit tour au marché central ! Premier plaisir, conduire dans les rues quasi désertes, stationner aisément sur le parking des éléphants et, sortant de la voiture, être, quelque soit le moment de l'année, confrontée à l'atmosphère sereine et feutrée du petit matin. La ville, comme les hommes, s'éveille doucement. Descendre la rue Gargoulleau peu fréquentée à cette heure, y croiser des personnes encore plus matinales que moi, le panier déjà garni, et, avoir la satisfaction de repérer un détail, porte ou sculpture, jamais observé. Puis un vrai régal, la place du marché déjà en pleine effervescence qui offre des couleurs splendides, différentes selon les saisons. Flâner dans les rues adjacentes bordées de nombreux étals, se laisser tenter, cela fait partie du jeu. Regagner enfin les halles pour l’essentiel : le petit complément désiré. Pourquoi au retour, ne pas m'offrir le plaisir de fouler les superbes pavés de la rue du Minage, en profitant, à l'abri des arcades, des vitrines encore éclairées ? Puis, la cerise sur le gâteau, un petit express au café de la Paix avant de regagner la voiture peu chargée certes, mais ayant fait le plein de couleurs, d'odeurs et de saveurs.
Annette
a. Technique. Obturation d'un conduit ou d'un tuyau, avec un matériau composé d'étoupe, de chanvre et de résine, afin d'en assurer l'étanchéité.
b. Québécois. Bouche à bouche permettant de réanimer une dame évanouie.
c. Baiser dans le grand monde par opposition à bisous pour le commun des mortels. Encore en pratique dans les rencontres entre vétérans survivants de l’époque soviétique. Ne traduit pas forcément une attirance réciproque.
d. Philosophie. Action permettant d’expulser par la bouche – c’est-à-dire oralement – et parfois dans la douleur, le fruit de nos réflexions.
e. Mise face à face, entrevue, conférence.
Le Vrai-Faux Dico des mots